Cet article participe au rendez-vous mensuel « Mots éparpillés » de Margarida Llabres et Florence Gindre, projet inspiré par « Mots sauvages » de Cécile Benoist.
Les deux jeunes gens se sont arrêtes, intrigués.
_...? Urinoir ET cireur?
_D'après toi?
_C'est un truc qui se nettoie tout seul?
_Ou alors tu te fais polir les chaussures après usage...
_J'ose pas imaginer.
_Surtout en baskets...
Ils continuent leur chemin, prenant inconsciemment la direction indiquée par le panneau.
Ils arrivent bientôt devant une bâtisse aux murs lézardés.
Une enseigne annonce "Hôtel Kaban".
Poussés par la curiosité, ils entrent.
Un homme, la quarantaine, trop bien habillé pour les lieux, semble être changé en statue de sel au milieu de ce qui a été un hall de réception, maintenant couvert de poussière et envahi de fils d'araignées.
Un froid étrange a fait place à la chaleur caniculaire de l'extérieur, les jeunes frissonnent malgré eux.
Au bruit de leurs pas, l'homme tourne la tête lentement, et s'adresse à eux comme si leur présence était la plus naturelle du monde.
Et voilà, dit-il. voilà tout ce qu'il me reste de mon frère. Il avait un bien bel hôtel, n'est-ce pas?
Il fait un large geste de la main, pour appuyer ses paroles.
Un bien bel hôtel. De l'ambition. Mais aucun sens des affaires, et des vautours pour amis. Tout ce qu'il restait l'année dernière, c'était le bar, enfin, les toilettes du bar, vraiment, les copains avaient la descente facile mais l'ardoise n'était jamais payée... et puis il y avait le service de cireurs hérité de notre père. Ils se tuaient à la tâche... J'ai préféré partir.
Suit un silence. Il est plongé dans des souvenirs invisibles.
Si seulement ils m'avaient écouté, si seulement ils m'avaient suivi à Paris...
L'homme secoue la tête tristement, se dirige vers la porte et disparaît dans le soleil aveuglant.
Une carte est tombée de sa poche, les jeunes gens la ramassent et lisent:
Kaban frères
Kaban-A-Cire
cireurs exclusifs de marques de luxe,
(Louis Kaban, Pdg)