Un personnel... très réduit
Nous sommes en 1946. L'industriel Tchecoslovaque Karel Bacik s'enfuit de son pays, alors que le régime communiste s'y installe. Il arrive en Irlande et contacte un de ses clients, un joailler de Dublin, Bernard Fitzpatrick. Avec ses économies, et l'appui de Fitzpatrick, Bacik achète un terrain dans le but de re-créer une industrie du verre. Mais si Bacik a les finances, il n'a pas le talent. Il écrit donc au jeune homme qu'il parraine dans ses études d'art, à Prague, lui décrit l'Irlande comme un paradis tropical où l'on peut trouver tout ce qui manque sur le continent dévasté. Le jeune Miroslav Havel quitte donc sa famille et sa fiancée, arrive enfin à Waterford vêtu de ses plus beaux habits, son costume national, et, selon les dires de son fils, ressemblant suffisament à un leprechaun pour amuser les enfants du quartier! Il finit par trouver son mentor, assis au fond d'une cabane au milieu d'un champ.
Après les retrouvailles, émotionnelles comme il se doit, Miroslav finit par demander:
- Combien d'employés avez-vous dans votre usine, M. Bacik?
-Un seul, M. Havel. Vous.
La biographie de Miroslav Havel, par son fils Brian Havel, homme de loi et professeur à DePaul University.
Réinventerle produit
La popularité après la guerre du cristal scandinave minimaliste et fonctionel pose un défi aux deux hommes, qui veulent reprendre leur tradition de cristal orné, d'une part, et celle du nom de Waterford. Havel se rend à la National Gallery de Dublin, où il retrace à main levée les dessins des pièces de Waterford Crystal. Ce qui avait fait la notoriété de la marque, était un verre épais et lourd, taillé de toute part afin qu'aucune surface du verre ne laisse passer la lumière, mais au contraire la reflète dans toutes les directions. Ce verre épais est aussi riche en plomb, qui lui donne une teinte grisâtre. Les décorations servent aussi à déguiser ce problème. Les innovations industrielles permettent un procédé qui rend le cristal parfaitement transparent. Miroslav s'inspire des décorations originales, et invente le "Lismore Pattern" qui devient bientôt le plus populaire du monde.
Afin de faire renaître le nom de Waterford, Bacik recrute à l'étranger, sans problème avec le chômage sur le continent. Des experts talentueux arrivent, de Tchécoslovaquie, mais aussi d'Allemagne, d'Autriche, d'Italie. Le talent des souffleurs de verre consiste dans le cas de Waterford, à obtenir un verre épais à la base mais bien plus mince en hauteur. Le cristal est alors taillé en profondeur, ces entailles dont l'angle est minutieusement calculé reflétant la lumière. Mais au contraire des pièces du 19ème siècle lourdement ornées de petites entailles, les nouvelles sont taillées de larges losanges qui allègent le tout, et qui finit avec une envolée verticale qui suit et embellit la forme naturelle du verre. Le haut de la pièce n'est pas travaillé mais est poli pour augmenter sa transparence.
L'idée du chandelier refait surface également, du plus prestigieux (les chandeliers de l'Abbaye de Westminster, 1965) aux plus modestes,
Le logo de la marque est d'abord le nom Waterford puis un hippocampe, évolution sur plusieurs années du dauphin, aussi appelé cheval de mer, qui orne les armoiries de la ville.
Qui sont les clients?
Le nom de Waterford Crystal était déjà connu auprès des riches anglais, puisqu'au XIXème siècle les clients des Penrose faisaient partie de l'élite anglo-irlandaise. Il suffisait donc de retrouver ces clients. Mais le directeur du marketing a d'autres idées. Il s'intéresse aux expatriés, à ces milliers d'Irlandais qui ont quitté leur verte Erin, ou à leurs descendants, aux Etats-Unis ou ailleurs, et va leur servir le rêve, dont la formule magique est: cristal + mythe irlandais + nostalgie du pays ancestral. Miroslav Havel quant à lui a l'idée de créer des collections, carafe + verres (eau, vin blanc, vin rouge, cognac, liqueur). Leur premier "gros" client est Bing Crosby, (irlandais de 3ème génération par sa mère) et bientôt tous les riches américains l'imitent. Le cristal de Waterford devient LE cadeau de mariage. le "Lismore Pattern" est le plus populaire.
Les années fastes
Avec un carnet de commandes qui se remplit à vue d'oeil, la direction de la cristallerie prend la décision d'agrandir l'usine, et de déménager en banlieue. C'est un paradoxe, que le cristal soit un à la fois un objet fait main, et produit en masse. c'est pourtant le défi relevé. A la fin des années 70, la cristallerie est sans doute le plus gros employeur de la région, employant directement 3430 personnes, soit 10% de la population urbaine, et indirectement faisant vivre le reste de la région.
En 1987, Waterford Crystal fusionne avec Wedgwood, la compagnie de céramique anglaise. Le groupe Waterford Wedgwood continue à fabriquer et vendre du luxe, ayant des magasins et 7700 employés répartis sur chaque continent. La manufacture à Waterford est la deuxième attraction touristique d'Irlande, mais les difficultés financières commencent à se faire sentir.
Naufrage et sauvetage
Dans les années 90 l'apparition de marques de luxe plus abordables, et l'ouverture de ces magasins offre une forte compétition, avec le changement de style de vie, tout cela cause des soucis à la marque. On fait appel à des designers de mode tels que John Rocha et Terence Conran, pour moderniser les lignes dans le but d'attirer une clientèle jeune et d'être plus compétitif sur un marché de plus en plus difficile. Les dettes s'accumulent, les ouvriers se mettent en grève pour empêcher la fermeture de l'usine. Il faut être sans pitié, sauver le groupe signifie réduire l'effectif de moitié.
Dans l'espoir de trouver un investisseur, les actionnaires s'accrochent.... mais il n'y a plus de fonds. En 2009 le nom de la compagnie, "Waterford Crystal" est racheté par l'entreprise KPS , dans le but de produire en Europe de l'est ou en orient. Dans la débâcle, les employés apprennent que leur retraite n'est pas garantie, malgré des années de cotisations. Ils se retrouvent du jour au lendemain au chômage et sans le sou. Il faudra 5 ans de négociations pour que l'état soit déclaré responsable par la cour européenne.
Et aujourd'hui?
Ceux qui pouvaient le faire, se sont associés et ont ouvert leurs propres ateliers. Il y a donc dans le comté et aux alentours, des verreries, souffleurs de verre, gravure sur cristal, sculpture... selon la spécialité de chacun. Les autres, ceux qui ne faisaient pas partie de la production, se sont reconvertis comme ils ont pu grâce aux cours de formation continue pour adultes.
La blessure est récente, la cicatrice encore douloureuse.
En 2010 le gouvernement irlandais intervient, trop tard aux dires de tous, pour négocier l'ouverture de la House of Waterford Crystal près du Triangle Viking, avec un magasin/gallerie, et une partie production, réservée aux commandes spéciales. Le reste du cristal est fabriqué à moindre coût en Autriche et en République Tchéque, en Slovénie... Un retour aux sources, en quelque sorte?